De récents évènements de la vie économique belge relatifs à AB INBEV, BRINKS ou OPEL m’ont amené à reconsidérer le concept d’entreprise sous l’angle sociologique. Loin de l’idée de généraliser ce point de vue, des documentaires et études confortent la pertinence du propos suivant : « Pourquoi des entreprises en viennent-elles à prendre des décisions que nous pouvons raisonnablement juger antisociales? »
Les organisations entrepreneuriales de forme 'personne morale' méritent-elles encore le qualificatif 'moral', que ces dernières soient avec ou sans but lucratif ? Ces 'corporations' comme disent les anglo-saxons, sont devenues des instruments non seulement commodes, mais également, convenus, qui justifient des comportements moralement indignes d’une civilisation dite moderne.
Conceptuellement, une entité morale dispose des mêmes droits et a les mêmes obligations que tout être humain ou personne physique. Tenant compte de cette définition, et sur base du livre de Joel Bakan (« The Pathological Pursuit of Profit and Power », The New York Press, 2004), Mark Achbar & Jennifer Abbott ont réalisé un documentaire intitulé « The Corporation » qui prend le monde économique au mot. La conclusion édifiante est que les comportements des entreprises sont identiques à ceux d’un psychopathe !
Tout être rationnel soutiendra que c’est la recherche de la maximisation à court terme de la richesse des actionnaires qui est la cause principale de cette pathologie. Mais, en poussant le raisonnement psychothérapeutique jusqu’au bout, le moteur ou la motivation primaire du fonctionnement d’une entité économique morale (société commerciale), n’est plus seulement la recherche du profit, voire du pouvoir, mais également, la peur.
Créée pour générer du profit, condamnée à survivre dans la peur, cet état organique qui nous conduit à mettre en place des mécanismes de protection dès qu'un danger perçu comme réel se présente. Ces protections ne sont en fait que le reflet de nos propres vulnérabilités humaines et non des faiblesses de l’entreprise ou de l’organisation. Les actionnaires en viennent à nier qu’ils sont responsables des décisions actées par leur société commerciale.
En ce qui me concerne, j’ajouterais une justification plus systémique des comportements antisociaux. Nous sommes devenus les otages d’un concept de société commerciale inadapté à l’écosystème du 21ème siècle. Ce hiatus se traduit par une incapacité totale de la part de nos sociétés à imposer des normes sociales aux ‘personnes morales’ sans que ces dernières ne se sentent menacées. L’entreprise devient une excuse morale servant à justifier des comportements phobiques.
Il est temps de penser à de nouvelles formes légitimes de personnes morales qui tiennent compte des nouvelles normes qui s’imposent à la société afin de relever les défis du développement durable. Comment guérir un psychopathe ? Voilà peut-être une piste pour envisager une authentique éthique des sociétés commerciales.
En conclusion, j’inviterais tous les acteurs de l’entreprise 2.0, du ‘coworking’, de l’économie participative,... à éviter l’écueil de l’‘incorporation’. Ces nouveaux concepts, portés par les technologies de l'Internet, peuvent être les moteurs de la genèse d’une nouvelle forme de personnalité morale adaptée aux besoins sociétaux futurs.